LE 10 MAI 1940. LES PREMIERS COMBATS.

 

              Les 400 soldats allemands attachés à l’opération NiWi sont acheminés dès 05h00 depuis Bittburg par 200 rotations de Fiesler-Storch, dont la noria attire rapidement l’attention des patrouilles des Chasseurs Ardennais.

              Posé dès 06h00 près de Witry, le commandant du détachement, le Lt-Col. Garski, constate rapidement qu’une partie de ses troupes est manquante, déposée trop au sud près de Léglise suite à de grossières erreurs de navigation et à l’activité anti-aérienne belge. L’opération semble tourner dès le début au fiasco. Qu’importe, le très petit contingent allemand se retranche en attendant la seconde vague qui atterrit à 08h00. Ils parviennent à saboter certaines lignes de communication, à faire prisonniers quelques permissionnaires et bloquant la route Neufchâteau-Bastogne, ils vont repousser de nombreuses contre-attaques durant la journée, de même qu’une tentative menée par des blindés français de reconnaissance. Le village de Witry est repris aux Chasseurs Ardennais au prix d’une vingtaine de tués côté allemand. La patrouille belge tiendra jusqu'à 18h00 aux abords du village, perdant un char et sans ordre précis, elle se repliera à pied dans la forêt d'Anlier.

              A Rancimont/Léglise, les combats font rage depuis 09h00 et les Allemands sont déjà retranchés dans les maisons. Deux chars du 1ChA sont immobilisés et sur ces entrefaites, les Allemands se replient en direction de Witry. La compagnie de Chasseurs Ardennais se met en défensive dans le village mais reçoit en milieu d’après-midi l'ordre de repli.

              Au même moment à Nives, une patrouille belge est bloquée sous le feu allemand. En milieu de journée, elle bénéficie de l’appui de quelques chars venant de Bastogne. Un char est détruit avant que tout le détachement ne reçoive l’ordre de se replier vers l’ouest.

 

              Entretemps à la frontière, Les Allemands qui attaquent les positions belges par voie terrestre, arrivent devant celles-ci plusieurs heures après les atterrissages de l'opération NiWi. Paradoxalement, la rupture des communications opérée par les hommes de Garski va jouer en défaveur des allemands puisqu’elle va fixer notamment deux compagnies du 1ChA à la frontière. Toute communication coupée avec l’arrière, leurs commandants ne sont pas avisés des récentes décisions de retrait prises par le Groupement K : en l’absence d’ordre contraire, les faibles contingents tiendront donc sur place. Le plus longtemps possible.

            Côté belge, la 4ème Cie du 1er ChA qui n’a pas réceptionné l’ordre de repli, est attaquée à 07h30 à Martelange par les éléments de tête de la 1ère Panzer. Elle résiste, mais se replie à 10h30 et se retranche à Fauvillers.

              Ensuite, la 5ème Cie à Bodange qui n’a pas non plus réceptionné l’ordre de repli, est attaquée par la 1ère Panzer vers 11h30. Elle résiste vaillamment jusqu'aux environs de 18h00, étant même durant deux heures sous le feu continu de l'artillerie allemande. La topographie des lieux est idéale pour stopper l’avance allemande : un défilé sur une route unique descendant entre des collines et imposant une traversée de cours d’eau sur un pont dans une vallée encaissée. Si on y ajoute l’installation judicieuse de points de feu en position surélevée dans les solides fermes ardennaises, on obtient les conditions de réussite d’une opération de retardement qui aurait pu être répétée dans des lieux analogues comme aux abords de la Semois, à Bouillon notamment.

            A Strainchamps, un simple peloton de ChA attaqué dès 10h00 par les éléments de tête de la 2ème Panzer, résiste si bien que la lutte dure jusqu'à 17h30.

             Plus au Nord, à Chabrehez, deux pelotons du 3ème Chasseurs Ardennais résistent à l'avant-garde de la 7ème Panzer du bientôt fameux Général Rommel.

            Ces Chasseurs Ardennais-là se sont battus sur place conformément aux ordres initiaux, au lieu de pratiquer une retraite défensive dont l'ordre ne leur est pas parvenu. Immobilisant durant une journée les troupes d’assaut allemandes, ils seront écrasés par des forces immensément supérieures. L’Histoire retiendra l’âpre résistance d’une poignée de grune teufels -diables verts- auxquels les militaires allemands rendront même hommage.

           Mais dès 12h00, le Général Descamps, commandant la 1ère ChA, qui craint le débordement par le Sud à Martelange et la présence des aéroportés ennemis à Nives-Witry-Léglise, a ordonné le repli des autres Chasseurs Ardennais sur le chemin de fer Bastogne-Libramont, ligne ferroviaire qu’ils atteindront vers 18h00. Et en début de soirée, le Général Keyaerts ordonne le repli d'emblée sur la position d'arrière-garde, le long de l'Ourthe.

 

             Du côté allemand, on a la certitude aujourd’hui que le Plan Jaune a été fortement compromis dès le début de l’offensive par un gigantesque embouteillage sur les routes du Luxembourg.

              Un énorme cafouillage en réalité.

               L’Etat-Major a réservé quatre voies au Gruppe von Kleist, celui-ci ayant une longueur théorique de 1.500 kms ! A elles seules, ses trois Panzer Divisions et l’IRGD se lancent parallèlement sur 4 colonnes d’une longueur chacune de près de 200 kms, soit 12 heures de défilement continu… De nombreux témoins civils gardent le souvenir de ce 'passage incessant de véhicules'.

              Une situation qui ralentit sinon bloque temporairement l’avancée de certains des éléments de pointe des divisions et le ravitaillement qui leur est destiné. Dans bien des carrefours, des commandements plus âgés n’obéissent pas aux injonctions des jeunes feldgendarmes. Ou bien des officiers donnent priorité à leurs propres détachements sur des itinéraires déblayés, empêchant souvent les équipes de Pionniers et les Troupes d’Assaut de progresser vers l’avant. La création ultérieure des mythes de la « blitzkrieg » et de l’efficacité allemande va soigneusement gommer cet épisode peu glorieux.

               Au nord du XIXème Korps, c’est également la pagaille. Le Général Rommel ordonne que ‘…/… la marche de la division, ce jour, ayant été en partie retardée par une mauvaise discipline générale, je rends tous les Chefs responsables de cette inqualifiable situation. Désormais, à chaque halte, tous les véhicules devront serrer sur la droite. Au cours de tout arrêt prolongé, la route devra être dégagée et une distance de 25m entre chaque véhicule devra être strictement observée. A l’avenir, toute infraction à cet ordre sera sanctionnée du conseil de guerre’. 

              Quel carnage aurait pu réaliser une action massive combinée des aviations française, britannique et belge face à ces colonnes interminables immobilisées dans des embouteillages inextricables… ‘Par bonheur, aucun bombardier ne s’est aventuré au-dessus d’aussi belles cibles’, commentera un officier allemand.

                Un peu d’ordre ne vient qu’en soirée du 10 Mai après les menaces de cour martiale proférées par le Général von Kleist en personne pour ‘quiconque gênera, d’une manière ou d’une autre, la progression des Panzer division et des pelotons du Génie qui les accompagnent, sur les quatre routes tactiques définies par l’Etat-Major’.

 

               Pendant ce temps en France, sur les terrains d’aviation dévolus aux Britanniques, les équipages attendent, frustrés, près de leurs Fairey Battles tandis que les bombardiers allemands survolent les bases aériennes de Champagne-Ardennes. 'Quand va-t-on pouvoir retirer les filets de camouflage pour enfin passer à l’action ?' L’avion qu’ils ont hâte de mener au combat est leur fierté. Ils n’ont aucun doute sur son efficacité et sur leur technique de bombardement.

          On sait aujourd’hui que ces squadrons ont été envoyées en France pour forcer la main aux autorités françaises qui, malgré les apparences, étaient frileuses à se lancer dans une aventure militaire contre le Reich. Tout au plus Paris a-t-il consenti dès septembre 1939 à l’hébergement de l’Advanced Air Striking Force (AASF) composée notamment de 10 squadrons de bombardiers légers, ‘sans capacité offensive’, insiste-t-on. Ainsi, durant la drôle de guerre, les Fairey Battle, qui constituent une part du contingent, ont-ils été utilisés principalement pour des missions de photo-reconnaissance et de lâcher de tracts de propagande à proximité de la frontière allemande. Entretemps, les équipages s’entraînent sans relâche.

 

            Lors de son vol inaugural en 1936, le prototype du Battle apparaît comme un avion bien né. Œuvre de l’ingénieur belge Marcel Lobelle qui avait pour but de créer une ligne fluide, l’appareil est rapide pour l’époque. Son fuselage, fort large peut accueillir le pilote et un observateur/mitrailleur arrière. Sa capacité d’emport est très faible : 4 x 115 kg de bombes, pour un poids total en charge de 5 tonnes. L’avion est grand avec une envergure de plus de 15m et surtout une surface allaire de 40m² assurant une charge allaire très faible de 125 kg/m². Avec une vitesse de croisière trop limitée de seulement 300 km/h, la montée à 1.500m prend quand même 4 minutes… Mais il est agréable à piloter. La RAF, qui le considère comme un bombardier prioritaire, en commande 2.400 d’office... 

                Pour le fabricant Fairey, il s’agit de la première expérience dans la fabrication d’un monoplan en métal. Les plaques de couverture en duralumin sont rivetées en clin et tous les éléments mobiles de la voilure ont une structure métallique recouverte de tissu. Le fuselage en avant du cockpit est constitué d’un bâti-cage en tubes d’acier auquel est fixé le groupe moteur, dont il est séparé par une cloison anti-feu. La courte partie centrale comprend les deux paires de longerons d’aile et abrite de chaque côté un réservoir à carburant. A l’intérieur on trouve en bas, le compartiment de l’observateur chargé de la visée, littéralement enfoui dans la carlingue. Car, avant que le prototype n’ait atteint le stade de l’agréation, la RAF exige une adaptation sous la forme de l’ajout d’un troisième poste d’équipage ‘afin que la mitrailleuse soit utilisable en permanence’. Chez Fairey, on sait immédiatement que cela ne va pas améliorer les prestations du Battle pourtant équipé du moteur Rolls-Royce V12 Merlin dont les versions ultérieures forgeront la légende des Spitfires et des Lancasters. Les ingénieurs font alors tout ce qu’ils peuvent pour améliorer l’aérodynamisme de l’appareil dont la silhouette présente, il est vrai, une certaine élégance. Mais à ce stade, son sort est scellé : il s’agit dorénavant d’un grand avion de bombardement léger, diurne, 3 places, monomoteur, lent et sous-motorisé. Lorsque la guerre éclate, plus de 1.000 Fairey  Battles sont opérationnels, contre seulement 500 Hurricanes et 300 Spitfires! Et paradoxalement, c’est un Fairey Battle qui a été crédité de la première victoire aérienne britannique de la seconde guerre mondiale, lorsqu’un Messerschmitt Bf-109 est abattu le 20 septembre 1939 par un mitrailleur arrière.

 

                      Toute la matinée du 10 mai 1940, les équipages maudissent l’Etat-Major qui ne réagit pas. A 08h00, le commandement des bombardiers britanniques de l’AASF a réceptionné un message émanant du Grand Quartier Général français stipulant ‘exécution manœuvre B. Mesure 101 air limitée à chasse et reconnaissance’ : les bombardiers doivent donc rester au sol jusqu’à nouvel ordre. Et pourtant, dès 07h30, la 2ème Armée française signale des troupes allemandes progressant à travers le Grand-Duché. A 09h10, un nouveau message émanant d’éléments belges indique que ‘des avions légers de transport allemands déposent des troupes en quantité limitée en différents points du centre-est du Luxembourg belge’ (opération NiWi). Suite à ce compte-rendu et à une nouvelle reconnaissance française, le squadron 142 et huit de ses Fairey Battles sont mis en alerte à 09h30. Mais ce n’est qu’à 11h00 que l’on reçoit enfin l’ordre du GQG aérien de bombarder en priorité les colonnes de la Wehrmacht. Toutefois, le Général Vuillemin interdit le bombardement des centres industriels et de son côté, le Général Georges s’oppose formellement au bombardement des zones urbaines ! Or, les colonnes de panzers des éléments avancés allemands et les camions qui les suivent traversent un ensemble quasi ininterrompu de hameaux, villages et petites bourgades au Luxembourg. Ces ordres de généraux français ont pour effet de paralyser complètement l’action des bombardiers et font perdre un temps précieux. Les Britanniques, exaspérés par les atermoiements français, tapent du poing sur la table et ils conviennent avec certains hauts gradés français de ce que les ordres du Général Georges ne parviendront aux squadrons qu’après le décollage des Fairey Battles.

                    Entretemps les premiers ordres arrivent : ‘chaque squadron enverra deux demi-sections (2 x 4 appareils) attaquer les colonnes ennemies motorisées entre AZ42 et Dippach …/… Positions de nos troupes les plus avancées à 3.5 miles au sud de Dippach et à Saint-Martin, 10 miles au sud de Dippach’. Les équipages sautent dans leurs avions : on y va enfin ! Ce qui les attend est moins réjouissant : les Fairey Battles vont payer un lourd tribut dès cette première journée d’engagement. Un pilote de chasse britannique se souvient que ‘ces jeunes équipages avaient tous une confiance absolue dans leurs appareils et leur technique de bombardement. Nous n’osions pas les contredire, mais honnêtement on ne leur donnait que peu de chance de s’en sortir...’

 

               Le sqn 142 (Berry-au-Bac) est le premier à décoller à 12h00 avec huit appareils, emportant chacun 4 x 250 lb de bombes GP réglées avec retardateur afin de prévenir tout dégât lors de l’attaque en palier et à basse altitude qui est préconisée. La procédure est identique pour tous les squadrons engagés. Trois des bombardiers ne rentreront pas, abattus par la flak (L5578, L…, L5231).

              Le sqn 103 (Bétheniville) est en alerte à 30 minutes et huit avions décollent en 2 vagues à 13h45 et 13h50. Trois des Fairey Battles ne rentreront pas (K9264, K9270, K9372).

              Entre 14h30 et 14h40, quatre Battles du sqn 218 (Aubérive) prennent l’air. Ils reviendront tous fortement endommagés, l’un étant même irréparable.

              Quatre des appareils du sqn 105 (Villeneuve), en alerte depuis 15h00, décollent une demi-heure plus tard. Un sera abattu (L5539) et les trois autres reviendront à leur base fortement endommagés, avec à bord de nombreux membres d’équipages tués ou blessés. Tous les avions seront déclassés car irréparables.

              Le sqn 150 (Ecury-sur-Coole) envoie quatre appareils dont un seul reviendra, trois étant abattus (L5539, L5540, K9390). Le seul avion survivant sera mis au rebut.

              Le sqn 226 fait décoller quatre avions à 17h00, deux étant abattus (K9183 et L5247), la moitié seulement reviendra de cette mission au-dessus du Grand-Duché de Luxembourg.

           Des quatre Fairey Battles du sqn 12 (Amifontaine) qui décollent à 16h30, trois sont descendus (P2243, L5190, L4949).  Le fameux L4949 « V for Vic » parviendra à se poser en feu près de Virton, son équipage ramenant à l’occasion le saisissant cliché de l’attaque à basse altitude d’une colonne motorisée allemande. La photo prise par le caporal Tomlinson deviendra célèbre.

              L’action de la RAF n’aura que des résultats médiocres lors de l'utilisation des bombardiers légers sur le continent. La doctrine britannique n’a alors jamais étudié la possibilité d’une coopération air-sol permettant une utilisation sol-air optimale. L’inadéquation des appareils, de leur usage et l’échec de la doctrine tactique vont exposer les équipages des Fairey Battles à des pertes terrifiantes.

 

             En l'air, côté britannique, cette première journée d’intervention des Fairey Battles sur des colonnes en mouvement se solde par un constat d’échec. La Flak intercalée dans les convois sous forme de canons de 37mm sur engins chenillés et même les canons de 20mm montés sur camions légers ou semi-chenillés ont une portée de plus de 3.000m. Ensemble, avec les mitrailleuses doubles et même les armes individuelles, ils ont dressé un véritable rideau de feu et de métal face aux lents et bruyants bombardiers légers attaquant en palier à moins de 250 pieds d’altitude…

             

                  Au sol, côté français, la 2ème Armée a été alertée à 05h20 le 10 Mai.

                A l'état-major de la 5ème DLC, on note à 05h40 un coup de téléphone «Alerte Tilsit»  -ordre de se préparer à entrer en Belgique-; à 06h23: ‘toutes les unités prévenues’; à 07h20: reçu mesure « Wagram » -ordre d'entrer en Belgique-.

 

              Du Côté belge, au Groupement K, on note à 06h52 émanant de l'EMGA: ‘les troupes franco-britanniques peuvent pénétrer librement sur notre territoire’; à 07h00 l’ordre est donné au 1er ChA ‘d’ouvrir les routes allant vers le Sud’; à 07h 15, ordre donné à la Gendarmerie de Bouillon : ouvrez tous les obstacles. Ouvrir les obstacles, c'est vite dit. Les escadrons de Lanciers qui étaient sur la Semois sont partis vers le Nord et les gendarmes et douaniers, aidés par des civils, font ce qu'ils peuvent mais, dans bien des cas, ils n'ont pas achevé le travail et des obstructions causent des retards au passage des troupes françaises. Des notes disparates précisent 'à 08h05 à Bouillon, arrivée des premiers motocyclistes des unités françaises de reconnaissance, suivis un quart d’heure plus tard des auto-blindées sur roues et sur chenilles, AMD et AMR. Puis les premières troupes à cheval'. L’essentiel prend la direction de Neufchâteau et de Libramont, mais certains motocyclistes bifurquent via Paliseul vers Saint-Hubert en direction du QG belge du groupement K où un officier de liaison de la 2ème Armée française arrive un peu avant 10h00. On lui remet ‘un croquis donnant la situation des troupes belges et un croquis des destructions'. On lui fait connaître le plan d'opérations et de mises à feu. Il est très étonné..., il s'élève contre le plan des destructions qui, à son avis, va empêcher les troupes françaises de parvenir à leurs objectifs...

                  Or, le Groupement K a reçu l'ordre du GQG d'opérer en toute indépendance des troupes alliées et sans essayer d'adapter sa mission à celle de ses voisins. Les Français veulent qu'on ouvre les barricades, de façon à progresser au-delà du dispositif de défense de la 1ère Division de Chasseurs Ardennais. Il n'en est pas question pour le Général Keyaerts qui leur oppose, avec superbe, une fin de non-recevoir polie ! En somme, il est signifié aux Français que sur la route de Houffalize, ils ne pourront pas aller au-delà de Mabompré et que s'ils veulent approcher l'ennemi par Bastogne, on ne leur ouvrira pas les barricades par lesquelles ils pourraient déboucher sur la ville par l’Ouest. Or, à ce moment-là les Allemands sont encore loin de Houffalize et même de Bastogne car à Bourcy, il n'y a que quelques éclaireurs ennemis. D'après les documents allemands, ces derniers ‘ont atteint la frontière belge peu après 09h00, et ce n'est que vers 14h00 qu'ils seront au contact avec les unités belges, au nord de Vaux’. Les éléments de reconnaissance français parviendront pourtant non sans mal à Bertogne puis Compogne. Hélas, les choses se gâteront encore entre Belges et Français dans ce secteur lorsque les troupes belges recevront l’ordre de repli sur l’Ourthe. Quand le contingent français quittera Bertogne, il sera obligé de rallier la route Houffalize-Libramont par Ortheuville, puis la route Champlon-Bastogne jusqu'à la barrière Hinck. Arrivé à la barrière Hinck, les Français devront faire demi-tour, c'est-à-dire reprendre la route de Champlon, car la route Bastogne-Champlon constitue justement le chemin de retraite des Chasseurs Ardennais qui  arrivent en sens inverse et dont l’arrière-garde procède aux obstructions et destructions au fur et à mesure de son repli…

 

             Plus au sud, à 09h15, le 2ème Chasseurs Ardennais qui tient l'important nœud routier de Recogne-Libramont au lieu-dit l’Etoile, signale à l'état-major régimentaire que 'trois autos-mitrailleuses françaises et plusieurs side-cars sont au pont de Libramont'. Leurs équipages constatent avec effarement la présence autour de la bourgade et de sa gare, d’un système de fortification renforcé à l'automne 1939 conformément à la politique de neutralité belge, comprenant plus de 10 bunkers dont les embrasures de tir sont orientées vers …le Sud. Heureusement ici, les officiers subalternes présents parviennent eux rapidement à se concerter : ‘délégation est donnée aux Français pour la mise en feu des mines placées au pont de Libramont, au carrefour de Recogne, et sur la route de Fays-les-Veneurs’. A 18h30 les Belges recevront l'ordre de se replier. A Libramont-même, à partir du 21h30 les ponceaux de la voie ferrée minés par les Français commencent à sauter. Seul subsiste le pont de la gare, qui ne doit sauter qu'après le retour des éléments de reconnaissance envoyés vers le Nord.

 

              A Bertrix, on installe le deuxième échelon français constitué d’un peloton d'auto-mitrailleuses et de canons anti-char.

              Encore un peu plus à l’Est, les premiers éléments de reconnaissance français progressent sur l'axe Neufchâteau-Bastogne. A Neufchâteau, ils entrent en rapport avec le PC du 1er Chasseurs Ardennais où un officier note : ‘J'ai contacté personnellement le lieutenant chef du premier détachement français arrivé à Neufchâteau vers 08h30 ... II m'a déclaré devoir se rendre à une borne précise de la route Neufchâteau-Martelange ; cette borne se situe vers Witry. Ce détachement comportait approximativement un peloton motocycliste’. Neufchâteau est également le siège d'un commandement de district de Gendarmerie dont le chef note que ‘vers 09h00 est arrivée à Neufchâteau une première voiture blindée française avec quelques motocyclistes. Ces derniers ont poussé deux ou trois patrouilles sur la route de Bastogne ; la dernière n'est pas revenue. J'avais à ce moment, à la clinique de Longlier, un capitaine aviateur français gravement brûlé et intransportable’. Abattu en avril, ce pilote de Bloch 174 de reconnaissance avait notamment reçu la visite d’un célèbre camarade du GR II/33 en la personne du Capitaine Antoine de Saint-Exupéry... Il ajoute : ‘Le blessé m'avait toujours demandé que je ne le laisse pas tomber dans les mains des Allemands. Aussi le 10 mai ai-je demandé aux médecins français de le faire transporter par ambulance en France. Comme il avait de la fièvre, ils s'y sont opposés. J'ai alors donné un sauf-conduit au docteur Miest, chirurgien qui le soignait. Lequel l'a reconduit en France dans sa voiture personnelle’.

                    Entretemps les éléments français de reconnaissance envoyés vers le nord sont retardés par des abattis, puis entrent au contact avec l'ennemi à 10h00 à Petite-Rosière. Il y a là en effet une fraction du détachement de l'opération NIWI, bien pourvue en armes automatiques et en fusils antichars. Le terrain ne permettant pas le débordement, le contingent reçoit l'ordre de rester sur place et de garder le contact. A Petite-Rosière, les Français abattent ‘un avion de transport Ju-52 au moment de son atterrissage’. A 15h00, les éléments sont renforcés par des AMR venus de Neufchâteau afin de lancer des reconnaissances.

                 Pour cela, il faut d'abord bousculer les Allemands de Petite-Rosière. Une attaque est lancée, les archives allemandes notent que ‘par surprise, sept chars ennemis débouchent de Vaux-lez-Rosière et passent à l'attaque des positions de notre 3e peloton. En dépit d'un tir violent de nos armes à très courte distance, les chars roulent plusieurs fois sur la position (sic). Puis ils marchent sur Petite-Rosière, mais s'arrêtent devant une obstruction factice placée par nous. A la tombée de la nuit, ils se replient en direction du Sud. Pendant l'attaque des chars, notre 2e peloton s'était replié en direction du Nord. A présent, le 3e peloton aussi se replie, dans un bois tout proche, où il passe la nuit.’

 

                  Au sud-est de Neufchâteau, les éléments de reconnaissance motocycliste vont buter sur un contingent de l’opération NiWi largués par erreur à proximité de Léglise.

              Au même endroit, deux pelotons français passés respectivement par Straimont et Suxy, arrivent sur leurs positions le long de la ligne de chemin de fer Arlon-Namur entre Bernimont et Naleumont avant 09h00. Vers 11h00, rejoints par un peloton anti-char, ils observent ‘une descente de parachutistes allemands aux environs de Léglise’, parachutistes qu’ils engagent une demi-heure plus tard, ces derniers se repliant dans les bois de Mellier.

 

              L’après-midi voit le renforcement du dispositif français, le gros des colonnes hippomobiles françaises passant par Petitvoir. Dans la rue, Paul Englebert y entend un officier houspiller ses hommes : ‘Allez, au trot…’ Un de ses hommes rétorque ‘c’est pas la peine de se dépêcher maintenant mon lieutenant, on le fera sûrement au retour…’ Les colonnes arrivent sur leurs positions le long de la ligne de chemin de fer en fin d’après-midi. Un détachement de reconnaissance reçoit l’ordre de pousser jusqu’à Fauvillers et rencontre à la lisière d'un bois un détachement allemand …à cheval : ‘surprise complète de l'ennemi, qui laisse prisonnier le commandant de son détachement, ainsi que des chevaux et un poste de radio’. Reprenant leur route et bloqués par les abattis à la sortie du village, les Français s’arrêtent à Wittimont avant de se replier vers Neufchâteau.

 

              La bourgade de Neufchâteau, que le groupe de commandement français et les escadrons hippomobiles ont rejoint en deux colonnes passant respectivement par Mortehan et par Herbeumont, est au centre du dispositif de la 5ème DLC. Le PC régimentaire est placé temporairement au centre-ville avant de s’installer à Petitvoir, 2 kms à l’ouest. Un escadron est mis en réserve à Tournay, le second à Neufchâteau-même de manière à empêcher le franchissement de la voie ferrée et à défendre les entrées de la ville vers l'Est. Les canons antichars de 25mm sont mis en position sur la route à Longlier et à Hamipré.

              Vers 20h00, les éléments de reconnaissance de retour de Wittimont arrivent à Neufchâteau. Alors par prudence, on fait sauter le pont de Hamipré, à l’entrée Sud-est de la ville.

              La déflagration ne surprend pas l’escadron hippomobile du Capitaine Pilafort installé depuis quelques heures entre Hamipré et Les Fossés. Seul ce contingent à cheval défend cette portion de la ligne de chemin de fer, avec sur ses arrières, un escadron motos et canons anti-char à Montplainchamps. Son mouvement tardif de repli ordonné le lendemain sera crucial.

 

                   Au soir du 10 mai, grâce à la résistance des Chasseurs Ardennais à la frontière et des Français de la 2ème DLC à Etalle/Sainte-Marie, les Allemands sont loin d'avoir atteint leurs objectifs du jour :

  • Dans le secteur assigné à la 5ème DLC française, les éléments avancés de la 2ème Panzer sont tout juste à l'ouest de Menufontaine où elles ont fait jonction avec les éléments de l’opération NiWi ;
  • l’avant-garde de la 1ère Panzer n’est qu’à Fauvillers où elle est forcée de cantonner et
  • la 10ème Panzer avec l'IRGD, tous deux très accrochés par les Français, n’occupent que la ligne générale Marbehan-Poncelle.

                 Mais, entre ces Allemands et les positions de la 5ème DLC le long du chemin de fer Namur-Arlon, il n'y a plus aucune troupe belge. Et les unités françaises de reconnaissance qui n'ont qu'une mission de surveillance, sont disséminées sur un front énorme... Tout comme les unités tenant la position principale.

 

               Au sud, la situation de la 2ème DLC qui se replie en infligeant de lourdes pertes aux allemands, rend nécessaire le retrait vers l'Ouest de la droite de la 5ème DLC. Ce retrait est ordonné dès le soir du 10 mai à 22h00 par le Général Huntziger, commandant la 2ème Armée française. En conséquence, la 5ème DLC qui tient Neufchâteau face à l’Est doit maintenant pivoter dans le sens horlogique et orienter son dispositif défensif face au Sud-Est.

              Au cours de la nuit, conformément aux ordres, la 2ème DLC se retire et étend sa gauche jusqu'à Straimont. Mais au Groupement Est de la 5ème DLC, l’aile droite, savoir l’escadron Pilafort, constitué principalement de l’unité hippomobile stationnée entre Hamipré et Les Fossés, tarde et n'occupe pas encore ses nouvelles positions à l'aube du 11 mai. L’escadron sera surpris par l'ennemi en plein mouvement de repli.

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