LE 12 MAI 1940. LES FAIREY BATTLES SUR BOUILLON
En ce dimanche de Pentecôte, la Luftwaffe multiplie ses bombardements en portant son effort sur les terrains d’aviation et les voies de communications situées en France.
Au sol, les 1ère Panzer, 2ème Panzer et 10ème Panzer poursuivent leur avance depuis respectivement Bouillon, Paliseul et Herbeumont.
La nuit précédente, Guderian a logé avec tout son état-major de Korps à Neufchâteau. Inquiet, il n’a que peu dormi et se lève très tôt pour prendre la route à 05h00, traversant Bertrix aux premières lueurs du jour, puis Fays-les-Veneurs avant de s’arrêter à Bellevaux.
A 07h00 il rejoint les hauteurs de Bouillon pour assister à la prise de la rive Ouest désertée de Bouillon par le 1er régiment d’infanterie du Lt-Col Balck. Les éléments de pointe du Pz.R2., qui ont pris la relève à la pointe de l’attaque, peuvent reprendre leur course en avant vers Sedan avec leurs side-cars et trois panzers auxquels se heurtent Picault et ses hommes, qui appuyés par une unité motorisée ont entretemps reçu l’ordre ‘de réoccuper leurs positions sur les rives de la Semois’ : redescendre dans Bouillon. C’est impossible : les Français font également face à l’est aux éléments de pointe de la 10ème Pz venant de Cugnon, ce qui contraindra ceux de la 1ère Pz à bifurquer à l’ouest vers Corbion. Menacés d’encerclement, les français font retraite vers La Chapelle ‘après 1 heure de combat’.
Entretemps, passant sur la rive gauche de Bouillon, Guderian note que ‘les français ont fait sauter les deux ponts, mais que le passage à gué est possible pour les chars’. Chars qu’il va suivre, enthousiasmé, en fin de matinée sur quelques kilomètres vers le village de La Chapelle avant qu’il ne lui soit conseillé de rebrousser chemin vu le danger que représentent les mines placées par le Génie français sur et aux abords de la route.
L'aviation britannique
Fort sollicités de leur côté, quelques Fairey Battles britanniques vont être engagés dans le secteur Neufchâteau-Bouillon. Mais l’AASF accorde toujours sa priorité à la zone d’opération Nord, la route Maastricht-Tongres et aux ponts près de Maastricht, qui verront la destruction de quasi tous les bombardiers engagés en une mission héroïque devenue célèbre et à l’occasion de laquelle les premières médailles de Victoria Cross seront décernées par la RAF. Aucun dommage ne sera causé aux ponts de Veldwezelt et Vroenhoven. De plus, un effroyable distinguo est opéré par les hauts gradés qui ne décorent à cette occasion que les équipages navigants des Fairey Battles et pas les mitrailleurs, considérés comme des hommes de troupe. Aucune médaille ne leur sera jamais accordée...
Pendant ce temps-là, appartenant au Groupe de reconnaissance II/22 et décollant de Châtel-Chéhéry à 09h00, un bimoteur français Potez effectue une mission sous la protection de la chasse sur l’itinéraire Bouillon-Libramont-Martelange-Arlon-Virton. Au-dessus de Bouillon, de 'nombreux convois sont observés sur les routes et la défense anti-aérienne est violente’. L’équipage formé du Lieutenant Saint-Denis, du Capitaine Fouché et du Sergent Taieb, ramène de forts intéressants clichés : ‘à 10h00, les allemands sont en train de franchir à gué la Semois à 200m au nord des deux ponts détruits’.
L’information ne parvient pas à l’AASF et à 12h55, le squadron 103 de Bétheniville envoie trois appareils pour ‘attaquer les ponts de Bouillon’. Prenant la juste mesure des pertes effrayantes des jours précédents, le commandant de ce squadron a ordonné de réduire les équipages à 2 hommes. A 5.000 pieds au-dessus de Sedan, la formation est prise à partie par la chasse allemande et parvient à se soustraire à la menace en plongeant vers le sol. En surgissant au-dessus de Bouillon aux alentours de 13h30, les équipages constatent la destruction des deux ponts et la présence d’une passerelle en construction au nord des débris du pont septentrional, lui-même en cours de reconstruction. La passerelle est attaquée à très basse altitude, à moins de 75m et ce type de manœuvre impose l’utilisation de retardateurs fixés aux bombes larguées afin d’éviter d’être endommagé par le souffle ou les débris de l’explosion. La précision est garantie, mais volant à 250 km/h, les appareils représentent de splendides cibles, même pour les simples mitrailleuses. Les trois Fairey Battles bombardent immédiatement les ‘troupes assemblées au nord-est sur la rive droite à proximité de tas de poutres’. La moitié des bombes atteint le lit de la rivière et une partie s’abat le long de la rive nord sur les billes de bois disposées par les pontonniers allemands. A cet endroit, une bombe rebondit et explose contre un bâtiment adjacent. De la fumée s’élève aussitôt des maisons incendiées. L’attaque fait en outre deux victimes parmi le 3ème bataillon du 1er régiment d’infanterie allemand. Lors de leurs ressources sur les hauteurs nord-est de la ville, les équipages constatent également la présence ‘d’une colonne de chars et de camions sur les routes descendant vers le centre-ville’. De même, ‘un immense drapeau rouge marqué d’une croix gammée est disposé à l’entrée de la ville. On distingue des chars arrêtés le long de la rive ouest de la rivière à proximité du gué’.
Après sa tournée sur la route de Givonne, Guderian est de retour à Bouillon juste à ce moment-là. Il notera dans ses mémoires sa rencontre avec les Fairey Battles attaquant à basse altitude : ‘ici, dans la partie sud de la ville, je fis pour la première fois l’expérience d’une attaque aérienne ennemie. Elle visait le pont qu’était en train de construire la 1.Pz. Par chance le pont ne subit aucun dégât mais quelques maisons furent incendiées’.
Dans les instants qui suivent, Impressionné et mesurant l’impérieuse nécessité de la construction d'un pont malgré la présence du gué, Guderian vient s’informer personnellement de l’avancement des travaux menés par les troupes du génie occupées à construire un pont-passerelle de bois en aval du pont de Liège. La photographie prise à cette occasion deviendra célèbre.
Guderian reprend ensuite la route vers Cugnon-Mortehan et la zone d’opération de la 10.Pz. qu’il lui faut impérativement sortir du piège de cette vallée de la Semois où là aussi les convois sont à l’arrêt. Ses éléments de pointe et leurs chars ont traversé la rivière à gué : il s’engage à leur suite et assiste à l’attaque par les troupes d’assaut du Général Schaal d’une position défensive française située à proximité des Quatre-Chemins. Il les suit jusqu’à l’entrée du village de La Chapelle. Ca y est, il est en France. Il ajoute ‘je pouvais retourner le cœur léger au QG installé à Bouillon, où le colonel Nehring, mon chef d’état-major, s’était entretemps installé à l’hôtel Panorama d’où il disposait d’une magnifique vue sur la vallée’. Pour voir, ça c'est sûr, il allait voir...
Sur ces entrefaites, décollant à 12h00, l’équipage d’un bimoteur français de reconnaissance confirme à son retour que ‘tous les ponts sont détruits entre Bouillon et Alle, à l’exception de la passerelle piétonne de Mouzaive. Aucun pont à bateau n’est visible’.
Mis en alerte à 30 minutes depuis midi, le squadron 150 de Villeneuve fait décoller trois Battles à 14h30 vers Bouillon pour ‘bombarder les pontons ainsi que les colonnes et les concentrations de troupes’, tel que relaté dans l’ORB. Les bombes seront larguées mais au prix de lourdes pertes. Parmi elles, l’équipage du GB-C.
Il est piloté par Tom HURST, Premier de sa promotion 1938 au RAF College of Cranwell et qui reçut à cette occasion la King’s Gold Medal faisant la fierté de ses parents, Edgar et Elisabeth habitant Purley dans le Surrey. Tom est connu pour ne jamais faire les choses à moitié, il a hâte d’en découdre. Juste derrière lui, Clifford Ronald ‘Cliff’ WELLS, originaire de Reading dans le Berkshire a déjà armé sa mitrailleuse .303 Vickers. Pendant que dans le fond de l’habitacle, William John ‘Billy’ ANNING relit ses notes de navigation avec sans doute une pensée pour son épouse Vera qui l’attend à Heavitree près d’Exeter. Volontaire pour l’AASF, cette bataille revêt une importance particulière pour Billy : né en 1913 dans le Devon, il n’a pas connu son père qui est mort au champ d’honneur en mars 1917 sur la Somme. Récemment et pour la première fois, il a vu la tombe en Picardie et s’y est recueilli. Il y a probablement fait une promesse : This time either they won’t make it - ils ne passeront pas cette fois-ci non plus…
D’un point de vue tactique, les Fairey Battles sont contraints de procéder à des attaques en paliers à très basse altitude. Le piqué leur est impossible pour une raison technique liée à l’énorme surface frontale des grandes ailes qui équipent l’appareil. Depuis des mois, on a constaté que tous les équipages qui avaient tenté à l’entraînement ce genre de piqué de plus de 30°, avaient été tués lors de la manœuvre, l’aile s’arrachant sous la pression de l’air.
Bouillon, déjà. Les deux premiers appareils bombardent dans succès la passerelle et s’esquivent rapidement, laissant la voie au troisième Battle piloté par le P/O Hurst, qui va obtenir un coup direct sur un camion du convoi bloqué dans la pente de la voie Jocquée.
Aux commandes du Battle K9485 (GB-C), HURST n’a pas d’autre choix que de remonter en rase-mottes la Semois depuis l’Abbaye de Clairefontaine et de larguer ses bombes sur le convoi de camions stoppés au passage de la Semois au centre de Bouillon. Mais il ne peut compter ni sur la vitesse, ni sur la manœuvrabilité de son avion dont l’inertie est décidemment trop élevée. Le Battle, avec près de 40 m² de surface et une portance allaire de seulement 125kg/m², affiche une tellement faible charge allaire que cela en devient un énorme handicap pour l’équipage qui vole par température élevée en milieu turbulent comme le fond de cette vallée. Chaque turbulence secoue violemment l’appareil, rendant la visée difficile.
C’est pire en débouchant au-dessus de la ville, où les tirs de tous les canons convergent vers eux. Le pilote HURST ressent plutôt qu’il ne voit les centaines d’impacts de mitraille qui déchire son beau K9485. L’observateur ANNING aligne sa visée et WELLS le mitrailleur, casque Brodie sur la tête, attend de faire feu vers les camions situés en contre-bas. Bombes larguées... HURST essaie de redresser l’appareil pour entamer sa remontée, les commandes ne répondent plus. Quelques dernières secondes de conscience. Un instant plus tard, K9485 percute la colline sur le haut de la Route du Christ. L’équipage tout entier est tué sur le coup dans le crash observé à 15h15. Sans doute le mitrailleur WELLS a-t-il eu la satisfaction de le voir avant de mourir, mais le convoi est touché, des camions explosent avec leurs chargements. Le nord de la ville est détruit par l’immense explosion et l’incendie qui s'ensuit.
Arthur Mousty relate que ‘quoique vouée à des opérations-suicides, l’aviation alliée se manifestait deçi-delà. Après la reconnaissance photographique de l’appareil de Revin, des avions alliés viennent à l’attaque du convoi de la Voie Jocquée. Un camion d’essence est touché, le feu se communique au camion bourré de munitions qui le précède et qui se volatilise dans une déflagration formidable. Les bâtiments adjacents sont soufflés. L’incendie qui reprend ravage les deux rangées de la rue et se rabat sur les immeubles de la Maladrerie jusque-là épargnés’. Les Bouillonnais réfugiés dans des abris de jardin de la Côte d’Auclin voient s’enfuir Maurice Clouet et Maria Automobile. Le père Nicolas, prisonnier des flammes, hurle à mort. ‘Mais les allemands n’ont d’autre préoccupation que de remettre leurs camions en marche arrière. La mission des aviateurs eut été un réel succès s’ils avaient pu répéter un passage sur la colonne en pagaille. Mais leur destin hélas, était scellé. Ils ne purent entamer leur ressource et écrasèrent leur appareil sur les hauteurs du Christ’.
Pilot: P/O Tom HURST 33388 (KIA)
Observer-bomber: Sgt William 'Billy' J. ANNING 525720 (KIA)
W-Op/Gunner: LAC Clifford ‘Cliff’ R. WELLS 551357 (KIA)
Les corps des membres de l’équipage seront temporairement enterrés par les Allemands, avec les honneurs militaires, à proximité de l’épave de leur appareil et inhumés ultérieurement au cimetière communal de Bouillon. L’épitaphe écrite sur la tombe du pilote HURST précise ‘destroyed a german convoy but was shot down’.
Un médaillon porte-bonheur, dont il apparaîtra après la guerre qu’il appartenait à Tom HURST, sera récupéré par les Allemands et remis à la gendarmerie belge. Laquelle le remettra officiellement en janvier 1945 aux Autorités Britanniques qui malheureusement l’égareront au grand désarroi de la famille.
La destruction du convoi se soldera par la perte de cinq camions de munitions, de carburant et de matériel de la 1ère section de la 1ère compagnie du 37ème génie allemand qui étaient bloqués dans la descente de la Voie Jocquée. Outre les trois victimes civiles, les explosions successives et les incendies tueront cinq sapeurs et en blesseront six gravement.
Les stratèges de la RAF se dispersent
A 14h50, c’est au tour du squadron 150 basé à Ecury-sur-Coole d’envoyer trois appareils (P2262, P2184 et P2336) afin d’attaquer une ‘colonne motorisée’ repérée en milieu de journée entre Bertrix et Neufchâteau.
Le matin-même à 06h10, une vingtaine d’avions allemands ont bombardé la base à haute altitude lâchant plus de 100 bombes qui ont touché le périmètre de la base du sqn 150 . Le dépôt de munitions et le local pyrotechnique ont été détruits ainsi que deux Fairey Battles qui ont explosé au sol: les équipages vont sauter dans leurs avions avec une revanche à prendre.
L’attaque se fait à nouveau en palier, dans une région où le relief est moins accidenté qu’à proximité de la Semois. Mais les appareils sont très bruyants, un témoin se souvient ‘qu’on aurait dit comme le bruit fait par d’énormes bourdons’. L’effet de surprise ne jouera pas ici non plus…
Venant de l’Est, ils débouchent au-dessus de Neufchâteau, où ils sont accueillis par un rideau de Flak. Aux commandes du Battle P2336 (JN-M), le pilote CAMPBELL-IRONS n’a même pas le temps de passer à l’attaque. Il y a tant de camions. L’enfer se déclenche instantanément : un rideau de feu se dresse devant lui. Il n’a pas le temps… Déjà tout s’embrase : l’avion se désintègre dans une boule de feu. Une explosion sous l’aile droite détruit le profil de sa structure et l’avion roule sur son flanc droit. Le souffle de l’explosion du réservoir d’aile brise la structure fragilisée au niveau du poste de pilotage qui est arraché et s’écrase avec le moteur. Le reste de la carlingue en feu poursuit son plané sur une centaine de mètres encore avant de toucher le sol dans le champ Pierret à 500m au Nord-Ouest de la ville en bordure du Bois de Perchepet. L’impact fait exploser le second réservoir, le restant du cockpit et l’aile gauche étant immédiatement la proie des flammes. Il est 15h30.
Le rapport de mission relate que ‘il semble que les tirs venus du sol aient fait détonner le chargement de bombes du P2336, l’appareil se désintégrant avant de prendre feu et de s’écraser en flammes depuis une altitude de 100 pieds’ (30m). Un cliché pris à l’époque confirme ces dégâts de structure. Aucun survivant n’est observé par les équipages des deux autres appareils qui larguent leurs bombes au-dessus de la colonne sans dommages visibles. Les deux appareils survivants du sqn 150, gravement endommagés, parviennent à rejoindre leur base.
Pilot: P/O Ian CAMPBELL-IRONS 40603 (KIA)
Observer-bomber : Sgt Thomas R. BARKER 580937 (KIA)
W/Op-Gunner: LAC Reginald H. HINDER 551612 (KIA)
Le P2336 s’est écrasé à quelques centaines de mètres d’une zone où les Allemands installeront quinze jours plus tard une piste provisoire pour une escadrille de chasse, comme ils l’avaient d’ailleurs déjà fait en 1914.
Au sein du 103ème sqn, un pilote se souvient que ‘nous nous faisions un monde du Fairey Battle. Avec sa construction entièrement métallique, c’était vraiment un appareil très solide. Les déboires mécaniques de rupture d’alimentation avaient été résolus, non sans casse, mais les équipages en étaient souvent sortis indemnes. Ce moteur était vraiment caractériel à ses débuts. Le seul point de faiblesse de l’appareil était son système de refroidissement. Si vous aviez ne fusse qu’un petit éclat de shrapnel dans les canalisations ou le réservoir de glycol, les ennuis sérieux commençaient. La surchauffe du moteur était immédiate, tout se mettait à bouillir, le moteur s’arrêtait et je crois bien que c’est ce qui a fait tomber beaucoup de Battles. La faible vitesse aussi était une calamité : l’avion n’avait tout simplement pas de vitesse. Et entre 9.000 et 12.000 pieds il nous fallait traverser de véritables rideaux de Flak. La seule chance était l’attaque en piqué léger et l’approche à très basse altitude. Nous avons dû rapidement changer nos tactiques d’attaques. Il était inutile de continuer à essayer de bombarder en vol rectiligne et en palier à moyenne altitude comme on nous l’avait appris. Ca ne pouvait pas marcher. Avec le recours au bombardement en léger piqué, le pilote allait devoir lui-même larguer les bombes en suivant les instructions de l’observateur. On devait aussi augmenter le délai d’explosion des bombes pour ne pas être endommagé par le souffle de l’explosion. De même, le vol en formation serrée apparût rapidement comme très dangereux et l’attaque d’objectifs ponctuels nous obligeait à nous suivre à distance à la queue-leu-leu. Les Allemands n’avaient qu’à nous aligner, l’un après l’autre…’
Le 1. Flak Corps allemand dispose durant l’offensive de moyens suffisants pour supporter de manière efficace les Panzer division de Guderian. Au vu des missions particulièrement extensives dévolues aux panzers notamment lors des percées rapides, une attention particulière a été accordée au ravitaillement en munitions et carburant des unités mobiles. L’organisation du ravitaillement des unités de Flak est placée sous le contrôle d’un Général de Brigade qui dispose des mêmes latitudes que les commandants de divisions de Panzers ou du Génie. Quant aux munitions dont sont pourvues ces unités, leurs types ont été modifiés quelques jours avant l’assaut initial : elles ont reçu des dotations constituées maintenant de 70% d’ogives à percussion et à tête blindées, les munitions à retardement ne représentant plus que 30% du stock. En dépit d’une consommation impressionnante de munitions anti-aériennes, jamais les artilleurs ne viendront à manquer d’obus.
Au niveau opérationnel, les unités anti-aériennes sont étroitement liées aux mouvements des troupes au sol et s’assurent ainsi une protection mutuelle. Mais c’est le timing des unités de panzers qui dicte le rythme de l’ensemble.
La première journée de combat en Belgique a été très dure. Mais depuis le 11 mai, l’avancée du PanzerGruppe de von Kleist flanqué du 1. Flak Corps, n’a pas connu de ralentissement. Avançant par bonds successifs, les divisions ont accomplis leurs missions sans trop de difficulté, ne rencontrant ça-et-là que peu de résistance de la part des forces belges et françaises. Quant aux forces aériennes alliées, elles ne sont pas très actives dans le secteur, récupérant des pertes effroyables subies au-dessus du Luxembourg lors de la première journée du conflit : un certain nombre de bombardiers légers britanniques ont attaqué sans succès à basse altitude les colonnes de ravitaillement, de nouveau au prix de lourdes pertes.
Le 12 en matinée, les convois allemands ont atteint Bouillon où ils sont bloqués. Sur la rive gauche, des maisons achèvent de se consumer, victimes noircies des combats de la veille avec les Français et des bombardements anglais.
Avec l’approche de l’objectif de la Meuse, la concentration croissante des troupes d’assaut et d’artillerie nécessite une protection accrue. Un officier allemand note que ‘cette tâche est ardue car seules quelques rares routes traversent le massif de l’Ardenne belge, toutes excellentes, mais néanmoins détruites à certains endroits. Au passage obligé de la Semois, les routes convergent vers Bouillon à travers un étroit défilé, ce qui restera pour nous durant 3 jours un véritable cauchemar tactique’. Dans la ville, les ponts ont été détruits et une passerelle est en cours de construction. Le Général Weise se souvient que ‘cela nous préoccupe énormément car nos troupes y sont logiquement mais inconsidérément concentrées. De plus, le terrain boisé ne nous permet pas de trouver facilement de positions anti-aériennes acceptables. Il faut faire avec : nos forces n’ont pas d’autre choix que de passer par ce goulet d’étranglement pour attaquer Sedan’. Il est décidé que le commandement anti-aérien du secteur Bouillon-Sedan est donné au commandant du 101ème Régiment de Flak. Renforcé par les éléments anti-aériens spécifiques de chacune des Panzer Division, ce Régiment disposera plus tard devant Sedan de plus de 70 canons de 88mm et de 150 moyens et légers calibres de 37mm et de 20mm.
Le Général Weise ajoute qu’une ‘attention toute particulière est accordée à la protection de la Route 77, spécialement dans le défilé de Bouillon. Cet endroit nous a beaucoup préoccupé. La descente vers la ville et la traversée de la Semois est gardée par 4 batteries mixtes de Flak, regroupant constamment 30 canons mobiles de calibres 20mm ou 37mm. Durant l’après-midi du 12 Mai, ces unités seront mises à contribution lors des attaques à basse altitude menées par des bombardiers britanniques contre les éléments du Gruppe von Kleist bloqués dans le défilé menant à Bouillon. Grâce au système anti-aérien bien organisé, les avions qui attaquent heureusement isolement ou en petite formation, seront pour la plupart abattus’.
A cet endroit, la Leichte Flak-Abteilung 83 de la Luftwaffe dispose d’une batterie de 9 pièces de 37mm et de deux batteries de chacune 12 pièces de 20mm, principalement sur semi-chenillés Demag. Elle est renforcée par les 12 pièces de 20mm de la batterie du Kp 2./Fla. 59 de l’Armée de Terre.
Le Général Weise ajoute qu’une ‘attention toute particulière est accordée à la protection de la Route 77, spécialement dans le défilé de Bouillon. Cet endroit nous a beaucoup préoccupé. La descente vers la ville et la traversée de la Semois est gardée par 4 batteries mixtes de Flak, regroupant constamment 30 canons mobiles de calibres 20mm ou 37mm. Durant l’après-midi du 12 Mai, ces unités seront mises à contribution lors des attaques à basse altitude menées par des bombardiers britanniques contre les éléments du Gruppe von Kleist bloqués dans le défilé menant à Bouillon. Grâce au système anti-aérien bien organisé, les avions qui attaquent heureusement isolement ou en petite formation, seront pour la plupart abattus’.
Dans le corridor de Bouillon, la Leichte Flak-Abteilung 83 de la Luftwaffe dispose d’une batterie de 9 pièces de 37mm et de deux batteries de chacune 12 pièces de 20mm, principalement sur semi-chenillés Demag. Elle est renforcée par les 12 pièces de 20mm de la batterie du Kp 2./Fla. 59 de l’Armée de Terre.
Lors de ces différentes missions, les Britanniques ont repéré des forces tellement importantes qu’une nouvelle opération de bombardement est montée dans l’urgence pour attaquer les colonnes à l’arrêt sur la route des crêtes au nord-est de Bouillon.
Entre 16h30 et 17h15, les squadrons 103 et 218 vont à nouveau lancer une mission combinée avec chacun trois Fairey Battles.
Les archives britanniques attestent que ‘décollant du terrain récemment bombardé du sqn 218 à Auberive, trois Battles, pilotés respectivement par le Flight Sergeant HORNER (HA-J), le Pilot Officer Bazalgette et le Pilot Officer Anstey volèrent vers leur objectif à une altitude de 1.000 pieds’. Le HA-J fait partie du lot de 300 avions délivrés par Fairey Aviation entre mai 1938 et février 1939 sous le n° de contrat 522745/36. Il a été livré au squadron 218 le 20 octobre 1938.
A bord du K9353 HA-J, il y a Leslie DAVIES, mitrailleur et opérateur-radio. Leslie Douglas DAVIES est né le 14 septembre 1918 à Llandaff North, dans la banlieue de Cardiff, au Pays de Galles. Son père William est mineur de fond et a la réputation d’avoir été l’un des hommes les plus forts de la région : toute sa vie dans la mine pendant que sa femme Dorothy veille à la maisonnée qui abrite alors cinq autres enfants dont 2 filles cadettes : Colin, Alan, Lionel, Hilda et Grace. Aîné de la fraterie, Leslie a quitté l’école à 15 ans pour participer aux tâches ménagères et gagner de maigres salaires qu’il rapporte à la maison. Grand sportif et excellent joueur de football, il est remarqué par les sélectionneurs du Cardiff City Football Club qui apprécient sa combativité et lui offrent alors un contrat junior durant quelques années. Leslie est très sollicité par les plus jeunes auxquels il accorde toujours beaucoup d’attention. Il a énormément d’amis car il est toujours là pour offrir une épaule compatissante, une aide ou un conseil. Ses yeux bleu acier et sa personnalité attachante font des ravages parmi la gent féminine : ses nombreuses conquêtes attestent d’un esprit pour le moins attentionné. Son frère dit de lui que c’est quelqu’un dont on ne peut pas se passer et sur lequel on peut toujours compter. Même après son départ pour l’armée, les gens ne parlent que de lui. Car le vrai rêve de Leslie, c’est d’être aviateur. En secret depuis tout petit, il ne pense qu’à rentrer dans l’aviation et à voler dans la RAF. En décembre 1936, à l’âge de 18 ans, l’opportunité lui est offerte lors d’une campagne de recrutement. Il est sélectionné, puis engagé comme soldat aviateur pour être rapidement formé comme mitrailleur de bombardier. En mai 1938, il obtient sa qualification d’opérateur-radio avant d’être affecté au 218ème Squadron où il vole sur les rutilants Fairey Battles qui font alors la fierté de la RAF. Juillet 1939 verra sa nomination comme caporal alors qu’il est sur le point de rejoindre le continent avec son Squadron récemment intégré au sein de l’AASF. Au début de 1940, il rajoute un chevron à sa manche.
En cette fin d'après-midi, le mitrailleur Leslie DAVIES embarque à bord du K9353 avec comme d’habitude le sergent observateur-bombardier FLISHER et le sergent-pilote HORNER. Leur mission est d’attaquer 'les colonnes de ravitaillement allemandes' qui traversent alors Bouillon à 150 kms au Nord-est de Reims. Depuis la veille, Leslie sait que quatre appareils de son squadron et douze de ses amis n’en sont pas revenus. Tous les avions envoyés... Aujourd’hui, c’est à son tour d’y aller. Aujourd’hui, c’est son baptême du feu. Les roues ont à peine quitté le sol que déjà il arme sa mitrailleuse Vickers, un dernier regard commun entre les trois hommes. Une ½ heure de vol à scruter l’azur à la recherche d’une menace. C’est si long et si court à la fois. L’excitation le partage à la peur. La Semois, enfin, déjà… FLISHER rejoint son poste de visée au fond de l’habitacle, Leslie ne distingue plus que ses jambes et uniquement le dos du pilote. On y va… Le faible débattement vertical de la mitrailleuse n’offre qu’un petit angle de visé vers le bas : impuissant, le mitrailleur doit attendre la ressource de l’appareil pour arroser la route de ses projectiles de .303.
A proximité de l’objectif des aviateurs britanniques, vers 17h00, Le colonel Nehring chef d’état-major de Guderian vient de terminer d’installer son nouveau poste de commandement à Noirefontaine lorsque de nouveaux vrombissements retentissent. Guderian vient d'y arriver. La malchance poursuit les officiers supérieurs allemands qui vont être à nouveau inquiétés par un raid aérien visant les convois de camions stoppés sur la route principale de la crête.
La plupart des équipages britanniques commencent à comprendre que la tactique de vol en formation de trois et d’attaque à tour de rôle n’a aucune chance de saturer le rideau de défense anti-aérienne dressé devant leurs lents bombardiers. Mais, ont-ils le choix ? Reste l’effet de surprise, peut-être… Ils ne l’auront même pas. Surgissant de l’Ouest, les trois Battles sont immédiatement pris à partie par les batteries situées dans le bois à l’ouest du village de Curfoz et par la Flak intercalée dans les convois notamment au niveau du coude de la route près du vicinal.
Le leader de la formation, le F/Sgt HORNER, aligne de suite son Battle K9353 pour attaquer dans l’axe de la partie rectiligne de la route située au-delà de la Ferme des 4 Moineaux. Son appareil est immédiatement touché par la Flak dont les obus coupent une partie de l’aile droite. Ses supports déchirés, la moitié de l’aile se vrille avant d’être arrachée. L’avion ne dispose plus de portance équilibrée, roule sur le flanc et plonge vers le sol. A bord, le Sgt FLISHER semble avoir le réflexe de déclencher le largage des deux bombes encore fixées sous l’aile gauche. La première percute un talus près de la ferme en explosant et l’avion est si bas que l’autre bombe rebondit plusieurs fois à plat avant de s’immobiliser sans exploser le long du talus de la route. Le Battle HA-J percute le sol dans une boule de feu derrière la Ferme des 4 Moineaux, les débris s’éparpillant sur une centaine de mètres jusqu’à la chaussée principale située en contrebas.
Les deux autres appareils restants visent sans succès les camions massés sur la route d’accès à la bourgade. Ils s’éloignent sous le feu des canons de Flak dont les tirs parviennent à endommager l’un d’entre eux qui s’écrasera une fois la frontière franchie.
Un des autres pilotes, le néo-zélandais P/O William ANSTEY écrira dans ses mémoires que ‘le 12 mai 1940, j’ai décollé pour ce qui était ma première sortie opérationnelle. Notre objectif était un convoi de camions à proximité de Bouillon au Nord-Est de Sedan. J’étais le n°2 de notre petite formation composée de trois appareils et nous volions à très basse altitude plein Est en nous dirigeant vers une épaisse colonne de fumée et en longeant une rivière (La Semois ). Avisant la petite ville de Bouillon en feu sur notre droite, le premier signe que nous survolions une zone ennemie fût instantanément le bruit des explosions d’obus autour de nous. Immédiatement après nous vîmes sur la gauche le convoi immobilisé dans la descente vers la ville et HORNER, le leader, s’aligna sur bâbord vers la partie rectiligne de la route, près de la crête. Juste après, alors que je maintenais une formation serrée avec l’avion de mon leader en fixant du regard sa cocarde d’aile, je vis celle-ci comme disparaître dans un éclair avec une partie de son aile, laissant un trou béant dans la voilure. Un instant après, des flammes et de la fumée commencèrent à sortir de son moteur, et il roula sur la droite sous mon appareil en ce qui m’apparût d’abord comme un léger piqué contrôlé. Je vis même son mitrailleur arrière me faire un signe « OK » en levant son pouce en notre direction. Du coin de l’œil je vis l’appareil plonger vers le sol.
De suite nous larguâmes nos bombes à moins de 100m d’altitude mais étions dans l’incapacité d’observer les résultats de notre attaque à cause des tirs nourris de Flak qui redoublaient d’intensité. Le n°3 de la formation à ma gauche avait également lâché ses bombes. La dernière vision que j’en ai est de le voir continuer plein Est à basse altitude au milieu des explosions et des balles traçantes. Je virais alors sur l’aile et en descendant dans la vallée j’entrevis l’épave en feu de notre leader le long de la route : notre appareil était désormais seul pour accaparer toute l’attention du moindre canon ennemi. Je plongeai dans la vallée sous le niveau des collines avoisinantes et comme nous foncions en direction de la ville, je pus voir les balles traçantes venir des deux côtés à la fois. Elles hachaient littéralement mon avion. Je me souviendrai toute ma vie, d’abord de la vision de ces vaches noires et blanches qui paissaient dans un champ alors que je zigzaguais brutalement en essayant de nous sortir vivants de cette vallée qui était devenue celle « de l’enfer ». Ensuite de ma pensée : comme j’aurais voulu être une de ces vaches à ce moment-là… Des projectiles perçaient de toutes parts mon avion et je me demande encore comment j’ai réussi à le ramener en un seul morceau’.
Le rapport des archives de la RAF précise que ‘le Flight/Sergeant HORNER menait la section à 17h15 quand il fût immédiatement touché par les canons et les mitrailleuses de la flak. Son aile droite en feu, l’appareil s’écrasa au sol à Curfoz. On ne distingua aucun survivant’.
Pilot: F/Sgt John Bl. HORNER 580159 (KIA)
Observer-bomber: Sgt Leonard Ch. FLISHER 564186 (KIA)
Gunner: LAC Leslie D. DAVIES 537015 (KIA)
Moins d’une heure après, des habitants de Curfoz bravent les soldats allemands massés près des camions qui ont stoppé leur progression vers Bouillon. Ils s’approchent craintivement des débris en feu.
Arthur Mousty ajoute ‘qu’à Curfoz, indifférente au vacarme qui l’entoure, la femme de Joseph Renauld se recueille un instant puis se met à récupérer des débris humains dans un tablier de grosse toile bleue. Joseph Muchurot et Marie Anciaux viennent l’assister, munis de sacs en jute. Un gradé allemand qui passe à leur hauteur les invective en leur disant que les civils n’ont pas à se mêler de ces choses-là ; qu’ils feraient mieux de rentrer chez eux car la bataille n’est pas finie. Joseph, plutôt ennuyé par ces déclarations, regagne le village à la faveur des haies ; sa femme qui est d’autre trempe, s’obstine. Des troupiers allemands descendant en masse sur Bouillon, regardaient, indifférents…’
Après avoir procédé à l’enterrement des dépouilles des aviateurs, les villageois apposeront des croix en bois et des clôtures autour des tombes temporaires. Habitant près de la frontière et avisant les cocardes rouge-bleu ou les bandes verticales rouge-blanc-bleu, les villageois croiront d’abord avoir enterrés des aviateurs français. C’est la raison pour laquelle ils feront apposer l’inscription ‘soldat français inconnu’ sur chacune des croix.
On l'a vu, les dépouilles non-identifiables de l’équipage seront enterrées provisoirement à proximité de l’épave par les villageois, pour être ensuite inhumées au cimetière communal de Curfoz. Comble de l’horreur, suite à une erreur administrative de la Croix-Rouge Internationale, la mère de Leslie DAVIES n’aura toujours aucune certitude à la fin de la guerre quant à savoir si son fils est encore en vie. Il lui faudra attendre l’été 1946 pour obtenir la confirmation que Leslie avait été tué et inhumé à Curfoz aux côtés de ses deux frères d’armes. Les circonstances du crash et de l’incendie subséquent n’ont jamais permis d’identifier individuellement les dépouilles. Les parents de Leslie DAVIES n’eurent jamais la possibilité et les moyens de se recueillir sur la tombe de leur fils aîné.
Quant à la formation de quatre appareils du Squadron 103 de Bétheniville, elle perd d’emblée le Battle L5512, abattu par la chasse allemande au Sud de Sedan.
Aux commandes d’un des trois autres appareils, il y a Edgar ‘Dickie’ MORTON, né en février 1915 à Te Aroha en Nouvelle-Zélande. Au sortir du King’s College, il entre comme employé juridique dans une société d’avocats. Devant le peu de possibilité d’avancement, il part pour Sidney en Australie où il occupe un emploi analogue. Cette existence semble lui peser puisqu’il postule pour un engagement de courte durée à la RAF et embarque fin 1937 pour le Royaume-Uni où il espère trouver une autre vie. Début janvier 1938, il commence sa formation de pilote en Ecosse, la poursuit en mars au N°1 depot de Uxbridge dans le Middlesex avant d’être certifié à la fin de la même année auprès de la N°10 Flying School de Ternhill, Shropshire. Flying badge à la poitrine, après avoir suivi la formation de navigation de Manston dans le Kent, il est assigné début 1939 au 52 (bomber) squadron avant de rejoindre volontairement le 103 squadron pour partir en France dans le cadre de l’AASF.
Ce dimanche 12 mai, ils ne sont que 2 hommes à bord : pilote et mitrailleur. Devant les énormes pertes subies depuis deux jours par les Fairey Battles, le clairvoyant commandant de cette escadrille a décidé d’épargner ses hommes et d’éviter des morts inutiles. De toute façon, le pilote peut opérer seul le largage des bombes et les longues colonnes de camions constituent une cible bien visible. La formation remonte la route à partir de Sedan et survolent le village de La Chapelle où ils sont pris à partie par la Flak. Débouchant à hauteur du virage du haut de la Route de France, près de la Ferme des Mouches à 17h15, le premier appareil a déjà largué ses bombes sur la colonne de chars et s’esquive. Les deux autres poursuivent leur vol au-dessus de Bouillon puis au nord vers Curfoz, à la recherche du convoi.
A la verticale de la route principale sur laquelle il tente de s’aligner, le premier appareil, piloté par le néo-zélandais MORTON (P2193, PM-C) est déchiqueté par la flak. Le pilote n’a même pas le temps d’effectuer sa visée. L’appareil désemparé vient s’écraser à Curfoz entre la route principale et le coude de la voie ferrée du vicinal. A deux cents mètres de l’endroit où vient de s’abattre l’avion du F/Sgt HORNER.
Pilot: P/O Edgar 'Dickie' E. MORTON 40636, from NZ (KIA)
W-Op/Gunner: A1C Alexander 'Alex' S. ROSS 61376 (KIA)
Le rapport de mission établi par le seul équipage survivant confirme que ‘le Battle P2193, victime de la flak du convoi, tombe en flammes à 17h20 dans des champs proches de la route principale’.
Ici aussi, après avoir procédé à l’enterrement des dépouilles des aviateurs à proximité de l’épave, les villageois de Curfoz planteront des croix en bois et des clôtures autour des tombes provisoires. Avisant les cocardes rouge-bleu ou les bandes verticales rouge-blanc-bleu peintes sur l’empennage, les villageois croiront aussi avoir enterrés des aviateurs français. C’est la raison pour laquelle ils feront apposer l’inscription ‘soldat français inconnu’ sur chacune des croix.
Des soldats allemands seront souvent aperçus par les villageois à proximité de l’épave du P2193 dont le site du crash deviendra un lieu de visite macabre pour les innombrables troupiers en route vers la France. Les débris deviendront l’épave la plus photographiée de toute la campagne des 18 jours…
De son côté, le dernier appareil parvient à larguer ses 4 bombes sur les véhicules rassemblés dans le village de Noirefontaine avant d’être touché lui aussi par la Flak. Ce que confirme Arthur Mousty quand il relate ‘…/… tout ceci dans le vacarme des détonations de la Flak qui se déchaîne contre des avions débouchant des bois français. Les appareils sont touchés. Des bombes explosent sur la maison de Madame Adeline, dans la pâture de Jean Léonard, de Jean Penning et devant la maison de Louis Faes en face de l’habitation du bourgmestre’.
Trainant un panache de fumée, ce dernier Fairey Battle, vire ensuite au sud à basse altitude avec à bord déjà un tué. Son pilote, le F/O Morgan-Dean, bien que mortellement blessé parvient à faire franchir la Meuse à son appareil qu’il va poser sur le ventre à proximité du village d’Haraucourt, mourant aux commandes dans l’instant qui suit mais sauvant la seule vie de son mitrailleur.
Guderian note dans ses mémoires que ‘suite à la désagréable expérience de Bouillon, nous avions décidé de poursuivre notre réunion d’Etat-Major dans un petit hôtel situé au nord de la ville, endroit qui avait servi précédemment de QG régimentaire à la 1.Pz. Lorsque nous visitâmes les lieux, le Général von Stutterheim, commandant du support aérien, qui était justement présent, me prévint que l’endroit était très exposé. Sur ces mots, une escadrille ennemie se mit à attaquer les bivouacs de la 1.Pz. établis le long de la route principale sur la crête. Nos pertes furent négligeables, mais nous étions dorénavant bien décidés à suivre les judicieux conseils de von Stutterheim. Il fût donc décidé de nous réunirent à Bellevaux…’ Ainsi, après la nuit du 11 au 12 mai passée à Neufchâteau, fidèle à ses habitudes, Guderian continuera à se porter durant la journée aux avant-postes afin d’assister à l’avance de ses troupes. Mais jamais il ne sera envisagé qu’il loge au centre de Bouillon ou même au château de Noirefontaine, trop exposés. Il logera à Bellevaux la nuit du 12 au 13 mai et ne quittera le village que le 13 mai au matin, peu avant la traversée de la Meuse par ses éléments avancés.
Entretemps, en fin d’après-midi du 12 mai après le second ajournement de la réunion d’état-major de Curfoz et son arrivée à Bellevaux, il répond à une convocation de von Kleist, commandant du groupement blindé qui a établi son QG à Rambruch (GDL). Endroit où se rendra Guderian en Fiesler-Storch pour recevoir des ordres qui le laisse perplexe. Et pour cause, il ne peut pas compter sur la 2ème Panzer, en retard sur le plan de marche. Et Il n’est pas d’accord avec l’ordre supérieur reçu : ‘…/… l’effort décisif de la bataille de l’ouest sera fourni le 13 mai par le groupement von Kleist dont la mission est de forcer la Meuse entre sedan et Monthermé. La presque totalité des forces aériennes allemandes sera engagée au cours d’attaques ininterrompues qui écraseront les défenses françaises de la Meuse, à la suite de quoi, le groupement exécutera la traversée à 15h00 et établira des têtes de pont …’
Guderian veut traverser plus au sud, à Sedan même. Du reste et von Kleist l’ignore encore, mais les éléments avancés de la 1ère Panzer ont déjà investi les faubourgs de la ville que les Allemands occuperont le soir-même. Mais von Kleist veut traverser plus à l’Ouest. Le ton monte. On ne trouve pas d’accord car von Kleist reste intraitable : …le XIXème Korps traversera la Meuse le 13 ! …à Sedan ! hurle Guderian.
On sait à présent que la « blitzkrieg » à l’ouest ne relève pas d’un grand plan, mais plutôt d’une suite de tentatives risquées dont le succès repose sur la latitude d’improvisation donnée au niveau opérationnel. Certes, les changements dans la technologie telle l'utilisation massive des chars légers et rapides est extrêmement importante. Et Il y a un autre avantage technologique du côté allemand : la radio. Le code Enigma, utilisé au niveau divisionnaire et l'avantage de l’usage inédit et systématique de communications radio instantanées entre les commandants de chars et les pelotons motos de reconnaissance, peuvent difficilement être sous-estimés.
Mais l'ingrédient principal reste l'initiative laissée aux commandants opérationnels. En octroyant une vaste marge de manœuvre à ces généraux de panzers, l'armée allemande est capable de se déplacer beaucoup plus rapidement que prévu. De nombreux commandants profitent de cette nouvelle liberté et poursuivent des objectifs de leur propre initiative, en dépit des ordres reçus. A titre d’exemple, Guderian a sa propre idée sur l’usage qu’il peut faire de la 10ème Panzer en lui faisant contourner Florenville, son objectif initial, pour la porter d’abord près de Bouillon, puis plein sud vers Sedan.
L’avenir va montrer que durant toute la chevauchée vers Dunkerque, les généraux de panzers vont souvent ignorer certaines instructions de leurs supérieurs. Guderian en particulier, connu depuis la campagne de Pologne pour sa vitesse d'attaque implacable. Plus que d'autres généraux, il démontre cette tendance à prendre des initiatives décisives qui payent à la fin. Ainsi, dès le 11 mai, Guderian, non seulement ignore les ordres clairs de son supérieur de porter la 10ème Panzer, alors à Jamoigne, vers le Sud pour bloquer une hypothétique contre-attaque française, mais il se comporte en violant également toutes les règles de l'art de la guerre. Ce faisant, Il dégarnit en effet tout le flanc gauche du XIXème Corps d’Armée... En quelque sorte, les initiatives de Guderian arrachent les commandes des mains du corps des officiers Généraux pour les livrer à l'échelon opérationnel. Au lieu de se concentrer sur la tactique, la tâche est d'accomplir une mission extraordinaire... L'opération prenant alors une dynamique propre. Cette initiative contribue à la vitesse fulgurante avec laquelle l'armée allemande est capable d'attaquer. Cette vitesse n'est pas simplement bénéfique sur le plan opérationnel, elle crée même un effet psychologique qui améliore encore l'efficacité de la troupe.
Mais cette capacité à improviser en désaccord avec les ordres crée évidemment des frictions avec les commandants tactiques, comme von Kleist. Les choses n’en resteront pas là et on le verra plus tard lorsque ce dernier réclamera la tête de Guderian. Mais le Führer en personne sifflera la fin de la récréation en stoppant ses troupes devant Dunkerque, à la fois en reprenant la main sur ses généraux par trop impétueux et en offrant une honorable porte de sortie politique au nouveau Premier Ministre du gouvernement britannique.
Pourtant, en dehors de l’axe général de la poussée vers l’ouest à travers le massif de l’Ardenne dit « impénétrable », les méthodes utilisées par Guderian et d'autres commandants ne font pas partie d'une stratégie pré-planifiée. En réalité, toutes ces initiatives extraordinaires seront analysées et ensuite transformées afin de créer de toutes pièces un système tactique que le journalisme de propagande nazi appellera « blitzkrieg ». En aucun cas celle-ci ne constitue une géniale stratégie préconçue, mais plutôt une suite d’improvisations, de coups de dés.
En attendant, Guderian note dans ses mémoires ‘qu’après la réunion avec von Kleist, je fis ce qui devait être un court vol de retour à bord du même Fiesler-Storch mais en compagnie d’un pilote différent cette fois. Direction Bellevaux. Le jeune homme prétendait connaître exactement l’endroit duquel j’avais décollé mais il ne parvint pas à le localiser dans la lumière du jour finissant. Après quelques temps, la seule chose dont j’étais certain maintenant était que nous nous trouvions à bord d’un appareil lent et non armé, du mauvais côté de la Meuse, au-dessus des positions françaises… Un moment fort désagréable…’ Rude journée pour le général : l’artillerie à Bouillon, la route vers Givonne, les combats aux Quatre Chemins et à La Chapelle, les attaques aériennes, l’altercation avec son supérieur. Et maintenant : ça! ‘J’ordonnais sans ménagement au pilote de virer vers le nord et de trouver enfin le terrain d’atterrissage avant la fin du jour. Ce qu’il parvint à faire de justesse’.
Et si… On peut se laisser à imaginer.
L’avenir de Guderian a beaucoup dépendu du ciel en cette journée du 12 Mai. Sans le savoir, les aviateurs britanniques l’ont manqué par trois fois de quelques centaines de mètres, pas plus. D’abord lors de la première attaque contre les troupes de pontonniers comme en atteste la célèbre photo prise à l’époque. Ensuite lors de son bref passage à l’Hôtel Panorama lorsque les camions bloqués dans la Voie Jocquée ont explosé, embrasant le quartier. Et pour finir lors de la préparation de la 2nde réunion de QG à proximité de la route de la crête à Noirefontaine.
Et maintenant, c’est un jeune pilote allemand qui met sa vie en péril…
Comme souvent, l’Histoire doit beaucoup à la petite histoire.
Oui, ce fût une sacrée journée pour le Général. Mais la perspective de la suivante occupe déjà tout son esprit : traverser, demain. Oui, traverser la Meuse à Sedan…
La réunion de son Etat-Major peut enfin avoir lieu à son retour à Bellevaux où Guderian prend de suite ses quartiers dans la ferme Nicolas. Le village a été entretemps bourré de canons de Flak et on semble avoir aménagé sommairement un terrain pour aviation légère.
A Bellevaux, Guderian rédige en hâte ses ordres à destination de ses trois divisions : ‘au centre, chargé de l’effort principal, la 1.Pz. sera renforcée par le régiment d’infanterie GrossDeutschland et par les feux de l’artillerie de corps et des groupes lourds des deux autres divisions. Elle franchira la Meuse entre Glaire et Torcy…/… A l’est, la 10.Pz. franchira la Meuse dans la région de Balan – Bazeilles …/… A l’ouest, la 2.Pz., qui s’efforcera de rattraper les deux autres, passera la Meuse dans la région de Donchéry…/…’
Il note également dans ses carnets de campagne qu’au soir du 12 mai, la 1.Pz. et la 10.Pz. occupent la rive nord de la Meuse à Sedan même. Toute la nuit sera consacrée à la préparation de la traversée du fleuve…/…’
Les attaques désespérées des équipages des Fairey Battles sont saluées par le GQG de l’AASF qui estiment que l’action des squadrons a ‘permis d’infliger de lourdes pertes et de ralentir de manière significative l’avancée des troupes ennemies…’ (sic). Ce qui est plus significatif, ce sont les chiffres : 40% de pertes le 10 mai, 90% le lendemain et 70% le 12 mai, avec souvent des dommages irréparables aux appareils survivants.
Le moins que l’on puisse dire est que le prix payé est lourd. Peut-on imaginer à ce moment-là que les jours suivants vont être encore plus dramatiques pour les équipages des bombardiers légers britanniques ? Bientôt, viendra le Jagdtag : le jour des chasseurs, le jour des pilotes de chasse…
A la tombée de la nuit, à Curfoz où le calme dans le ciel est revenu, les Allemands préparent l’envoi d’un ballon captif qui permettra de suivre les opérations du lendemain autour de Sedan. Le calme revient, malgré le passage incessant des convois.
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