S’il m’est permis aujourd’hui de porter des jugements et de faire des choix faciles,
c’est parce qu’il y a 75 ans de jeunes aviateurs ont eu à faire des choix bien plus difficiles.
Et c’est justement parce qu’ils ont fait le choix ultime,
que nous avons aujourd'hui la chance et le droit, en leur nom, de juger.
Neufchâteau, le 8 mai 2015.
AVANT-PROPOS
Mon Grand-père a été Chasseur Ardennais, comme beaucoup d’hommes au village.
En mai 1940 dans la plaine de Gembloux, mon Grand-père s’est battu contre les Allemands.
Je l’entends encore me raconter l’histoire.
‘Le 10 mai 1940, les allemands envahirent la Belgique en traversant le Luxembourg. A Strainchamps, quelques Chasseurs Ardennais attaqués par la 2ème Panzer résistent jusqu'en fin d’après-midi. Plus au Nord, à Chabrehez, d’autres Chasseurs Ardennais bloquent l’avancée de l'avant-garde du fameux Général Rommel. Au sud, une Compagnie du 1er ChA qui n’a pas réceptionné d’ordre de repli, est attaquée tôt le matin à Martelange par la 1ère Panzer. Elle résiste et se replie sur Fauvillers. Une autre Compagnie retranchée à Bodange, est attaquée par la 1ère Panzer avant midi. Elle tient vaillamment jusqu'au soir, écrasée sous le feu continu de l'artillerie allemande.
Immobilisant durant une journée entière les troupes d’assaut allemandes, les Chasseurs Ardennais seront submergés par des forces immensément supérieures. Interloqués de ne faire prisonniers que si peu de 'Diables Verts', les Allemands n’auront de cesse de leur hurler « Wo sind die anderen ? »-Où sont les autres-? L’Histoire a retenu l’héroïque résistance d’une poignée d’hommes auxquels les officiers allemands rendront même hommage : après avoir reçu les honneurs militaires, ils seront parmi les rares autorisés à quitter le champ de bataille les armes déchargées à la main.
La topographie de la région était idéale pour ralentir l’avance allemande : un ensemble de défilés encadrant une route unique descendant entre des collines et imposant aux attaquants et à leurs convois une traversée de cours d’eau sur un pont dans une vallée encaissée. Si on compte en plus l’installation judicieuse des points de tir en position surélevée dans nos solides fermes de l'Ardenne, là on obtient les conditions de réussite d’une opération d'arrêt et de retardement pour laquelle les Chasseurs Ardennais avaient été formés.
Au lieu de cela, on nous a donné l’ordre de repli et ensuite de nous battre en rase campagne, près de Namur.’
Il est trop tard pour le lui dire, mais, moi, j’aurais bien voulu que mon Grand-père continue ainsi l'histoire qu'il me racontait : ‘Oh bien sûr, l‘Etat-Major belge, arc-bouté au Plan Dyle, est tombé dans le piège de la manœuvre de diversion allemande organisée plus au nord. Déjà avant l’attaque, notre puissant groupement motorisé stationné dans la région d’Habay et qui devait occuper la frontière près d’Arlon, perd un régiment de blindés qui est envoyé en arrière-garde. Et le surlendemain le restant de ce groupement blindé se replie aussi. En plus, le 10 mai au petit matin, notre Etat-Major va donner l'ordre de repli vers le Nord aux deux derniers escadrons blindés qui gardent encore la Semois.
Mais les photos prises lors des vols de reconnaissance de l’aviation française ont été prises en compte et ont permis à l’Etat-Major Général allié de cerner la menace. Elles ont permis également de constater que derrière les chars allemands, leurs convois de camions de ravitaillement s’étalent sur 4 voies principales, longues chacune de plus de 100 kilomètres. Ils sont souvent à l’arrêt.
Entre les deux zones favorables aux embuscades situées aux frontières Est et Ouest du Centre-Ardenne, on trouve un immense plateau, indéfendable, juste bon pour des actions retardatrices. Le Génie y a fait sauter les ponts et a miné les carrefours principaux. On a bloqué les routes avec des abattis. En reculant en ordre, les Français de la 5ème DLC se battent à nos côtés contre la 1ère Panzer à Neufchâteau et contre la 2ème Panzer à Libramont. Echangeant de l’espace contre du temps. A Étalle, les Français de la 2ème DLC arrêtent les Allemands, parviennent même à dévier vers le nord l’axe de progression de la 10ème Panzer et se retranchent autour de Florenville, dominant la Semois.
Fidèle à ses conceptions tactiques, Guderian progresse par bonds rapides vers l’Ouest à un rythme endiablé, exposant les flancs de ses divisions de panzers, défiant ainsi toutes les lois de la stratégie. Inquiet d’une possible contre-attaque française venant du Sud, Von Kleist, lui ordonne pourtant d’attaquer Florenville. Il en fait fi et jouant comme d’habitude le tout pour le tout sur un coup de dés, il prolonge son effort jusqu’à la ligne Libramont-Bertrix-Herbeumont et bifurque brusquement vers le Sud, vers Bouillon et …Sedan.
Le piège. Le passage des camions vers Sedan passe par trois défilés encadrant chacun une route unique descendant entre des collines et imposant une traversée de la Semois sur un pont dans une vallée encaissée. Comme à Martelange et à Bodange. Il y a trois endroits possibles: Mortehan, Bouillon et Alle. Les panzers s’engouffrent dans les défilés et butent sur les ponts dynamités par les Français. La Semois est basse, ils peuvent passer à gué, sous les tirs venant de l’autre rive où Belges et Français sont solidement retranchés. Mais les camions ..? Les colonnes s’arrêtent, pare-chocs contre pare-chocs. Encore du temps perdu.
Les avions. L’action massive combinée des aviations française, britannique et belge matraque alors continuellement ces colonnes interminables immobilisées dans des embouteillages inextricables… Des dizaines de bombardiers légers britanniques sont engagés en même temps et au même endroit, saturant la défense anti-aérienne. Les pertes parmi les aviateurs sont terribles, mais pour 1 camion touché, 50 autres sont immobilisés. Les ponts passerelles sont détruits, chaque fois reconstruits et à nouveau attaqués. Bien sûr la chasse allemande prélève son tribut, mais les Moranes et les Hurricanes ne leur facilitent pas la tâche. La nuit, les bombardiers lourds français harcellent les convois, maintenant sur le qui-vive des troupiers allemands épuisés qui n’ont que peu dormi depuis 3 jours. Le temps s’écoule, inexorablement.
La situation est à l’arrêt : la pire de choses pour un adepte de la guerre de mouvement. Guderian a perdu son pari de faire déferler ses panzers sur sedan. Il lui faut contourner, sortir de ces maudits défilés. Revenir en arrière, monter plus au nord-ouest vers Monthermé et en même temps retourner prendre Florenville au sud-est et continuer en plaine vers Sedan, si c’est encore possible.
Car au Sud, la 2ème DLC française, galvanisée par ces succès de la veille à Sainte-Marie et à Étalle, contre-attaque et remontant plein nord depuis Jamoigne, coupe les voies de ravitaillement des panzers de Guderian. Le sort hésite.
La tête de pont qui sera bientôt établie par Rommel à Dinant au-delà de la Meuse est intenable sans appui au Sud.
Les alliés viennent de gagner une journée, peut-être deux. Du temps que les Français et les troupes du Corps expéditionnaires britannique mettent à profit pour se repositionner solidement plus au sud, sur la Meuse belge et française…’
Mon Grand-père a été Chasseur Ardennais, comme beaucoup d’hommes au village.
En mai 1940 dans la plaine de Gembloux, à court de munitions, Roger SALDAN a dû se rendre.
Mais au moment de monter dans ce train à destination de l’Allemagne, il a trouvé que ce n’était pas une bonne idée. Alors il s’est échappé. Mais ça, c’est une autre histoire à raconter.
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